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Le Monde maquille la mort de Saïd Bourarach en simple « noyade »

Désinformation. Découvrez comment le quotidien Le Monde édulcore aujourd'hui le meurtre à caractère raciste du vigile Saïd Bourarach.

Saïd Bourarach n'a pas été « assassiné ». Il s'est noyé. Mais les circonstances de sa mort ont fait de lui une icône. Le 30 mars 2010, ce père de famille marocain de 35 ans, musulman non pratiquant et analphabète, avait sauté dans le canal en tentant d'échapper à un groupe de jeunes – de confession juive – qui l'avait pris en chasse.

C'est ainsi que Le Monde présente aujourd'hui l'affaire Bourarach, du nom de Saïd Bourarach, vigile de Bobigny retrouvé mort dans le canal de l'Ourcq à la suite d'une course-poursuite lancée par ses quatres agresseurs.

Hier, la chambre d'instruction de la cour d'appel de Paris a confirmé le renvoi devant les assises des quatre hommes pour "violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, avec usage ou menace d'une arme". Deux des accusés se sont aussitôt pourvus en cassation.

Le journal suggère tacitement qu'il ne peut s'agir que d'une "noyade" puisque l'hypothèse d'un "assassinat" (en droit pénal, un homicide volontaire avec préméditation) n'a pas été, de toute évidence, retenue par la justice. Sur ce terme connoté d'"assassinat", voici un autre extrait de l'article qui atteste de la désinformation du quotidien.

Sa mort avait réveillé un profond sentiment d'injustice dans certaines couches de la population. Sur des sites d'information communautaire,(oumma.com,islametinfo.fr,panamza.com…), l'origine des agresseurs – et leur sympathie supposée pour la Ligue de défense juive (LDJ) – suffisait à établir la dimension raciste de son « assassinat ».

C'est faux: dans les trois articles auxquels renvoient les hyperliens, il n'est pas fait mention du terme erroné d'"assassinat". Incompétence ou malhonnêté intellectuelle du journaliste Soren Seelow? Un autre passage de cet extrait est révélateur de la méthode employée par le rédacteur: "sympathie supposée pour la LDJ". Quiconque s'est penché sérieusement sur le dossier pourrait être surpris par une telle précaution sémantique: la connexion des agresseurs avec la LDJ n'est pas une "supposition" mais un fait établi. Voici ce qu'en disait -un mois après le drame- Willy Le Devin, journaliste de Libération :

Les services du renseignement intérieur sollicités après les faits ont bel et bien retrouvé trace de l’engagement du groupe de Pantin, et de Dan L., à la LDJ en 2008, au moment de l’affaire de la rue Petit où trois jeunes juifs avaient été agressés alors qu’ils se rendaient dans une synagogue du XIXe arrondissement de Paris. De source policière toujours, Dan L. et son frère Michael avaient fait savoir à la LDJ qu’ils étaient disponibles pour faire le coup-de-poing contre les jeunes qui avaient tabassé les membres de leur communauté.

Une autre découverte du journaliste de Libération enfoncait le clou et vient aujourd'hui contredire la présentation presque dépolitisée du Monde à propos des accusés :

Plusieurs autres pages Facebook mentionnent l’appartenance de Dan L. à des groupes tel que «Le sionisme par passion, le judaïsme avec fierté», ou encore «Israël n’a volé la terre de personne, c’est notre terre».

Quant au caractère raciste de l'affaire, rapidement évacué par le Monde en symbiose avec le Procureur de Bobigny, il constitue pourtant une question toujours ouverte. Le Courrier de l'Atlas rapportait hier que "début 2011, quelques mois après être sorti de détention provisoire, selon une autre source judiciaire, Dan L. a agressé un gardien de square, noir, et aurait selon des témoins, proféré des propos racistes à son encontre. Pour cette affaire, Dan L. a été condamné à une peine de prison avec sursis."

Sur ce point également, Le Monde -relayant sans sourciller le point de vue du juge d'instruction- suggère (en dépit de la proximité idéologique des agresseurs avec la LDJ, un groupuscule ultra-sioniste d'extrême droite réputé pour ses agressions anti-arabes lors de manifestations depuis le début des années 2000) que la motivation raciste ne peut pas exister puisqu'il n'y a pas eu d'"insultes à caractère racial" entendues par les témoins. Vous ne revêz pas: grâce à un tel syllogisme, il est désormais possible d'évacuer un motif raciste pour une quelconque agression si celle-ci ne s'accompagne pas verbalement de mots explicites en ce sens.

Aucun des témoignages recueillis durant l'instruction n'a permis d'asseoir la motivation ethnique ou religieuse de l'altercation qui a conduit à la mort de Saïd Bourarach. Faute d'une véritable enquête de personnalité, les relations des agresseurs avec la LDJ n'ont pas davantage pu être établies. La circonstance aggravante de crime « raciste » n'a pas été retenue par la justice. « La seule appartenance des mis en examen, à la supposer établie, à un groupuscule politique de quelque nature qu'il soit ne saurait emporter présomption d'un mobile au moment des faits », argumente le juge d'instruction.

Quant à la suite du papier de Soren Seelow, elle se passerait presque de commentaire: après avoir évoqué "l'analphabétisme" de Saïd Bourarach avant l'allégation de son "saut dans le canal" (quel rapport?), le journaliste omet de signaler à ses lecteurs certains témoignages-clés. Ainsi, le policier Stéphane Pelliccia affirma, le lendemain des faits, que le vigile avait été "vraisemblablement jeté à l'eau". Ayant eu accès au dossier, la veuve de Saïd Bourarach a également certifié à Patrick Karam, alors délégué interministériel pour l'égalité des chances, que son compagnon avait été retrouvé avec "38 hématomes", sa veste "trempée" et du "gaz lacrymogène dans les poumons". Or, que nous raconte Le Monde?

Les collègues aperçoivent alors Saïd Bourarach, bombe lacrymogène en avant, tenant son chien en laisse, lancé à la poursuite de Dan L. (…).

Le groupe fond sur le vigile (…).

Le vigile fait alors usage de sa gazeuse, aspergeant copieusement le groupe.

Selon plusieurs témoins, l'un des agresseurs aurait alors menacé de tuer le chien. Le vigile, qui refuse d'abandonner la bête, renonce à se mettre à l'abri dans le magasin et repart en direction du groupe en vidant le contenu de sa gazeuse.

Ce sont deux agents de la SNCF, travaillant sur l'autre rive du canal, large d'environ 18 mètres, qui racontent la suite aux enquêteurs. Manifestement à bout de souffle, sur le point d'être rattrapé par ses poursuivants, le vigile se débarrasse de sa veste et se jette dans le canal. Les deux cheminots affirment avoir vu le groupe de poursuivants jeter des pierres dans l'eau, tandis que le vigile nageait énergiquement vers l'autre berge.

Le groupe de jeunes décide alors de rebrousser chemin, non sans avoir récupéré un paquet de cigarettes dans la veste du futur noyé.

L'enquête établira que le vigile est mort par noyade. A cause d'un pot de peinture.

L'article du Monde se conclut par ces mots et un renvoi vers un autre papier datant de mai 2010: celui de Caroline Fourest. L'essayiste (ndlr: avec laquelle l'auteur de ces lignes est en procès) avait déjà devancé, à sa manière, la relecture édulcorée du Monde qui s'avère, in fine, politiquement favorable à la mouvance sioniste (incarnée ici par Sammy Ghozlan, responsable de la communauté juive locale qui avait subtilement tenté d'atténuer l'émoi suscité par le drame):

Son blouson ayant été retrouvé sur une berge, sec, tout porte à croire que le vigile l'a retiré avant de se jeter lui-même dans le canal de l'Ourcq. On y repêchera son corps, couvert d'ecchymoses. D'après l'autopsie, il est mort par noyade.

En attendant le procès, ce sont les faits établis. La défiance raciste a pu jouer, de part et d'autre, mais la motivation raciste n'est pas démontrée. Il s'agit donc d'un fait divers. A moins de vouloir transformer toute altercation entre un juif et un Arabe en affaire politique (…) Toujours pour servir le même refrain: la mort d'un juif ferait trop de bruit, et la mort d'un Arabe serait tolérée.

Nulle surprise, dès lors, à constater que Paul Le Fèvre, avocat de l'un des accusés, s'est réjoui aujourd'hui sur Twitter de l'article de Soren Seelow.

Panamza reviendra prochainement sur l'affaire Bourarach, notamment avec des éléments d'informations inédits sur les quatres hommes mis en examen.

HICHAM PANAMZA

Tag(s) : #Merdia, #France, #Désinformation