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La grande braderie transatlantique

Le 13 février 2013, le président américain, Barak Obama, et les responsables de la Commission européenne annoncent officiellement que des négociations vont être entamées entre les deux parties à partir de juillet de la même année pour aboutir à un vaste marché transatlantique prévu pour 2015. L’accord à obtenir se veut d’emblée ambitieux, englobant aussi bien les matières commerciales que celles de la propriété intellectuelle, c’est-à-dire les brevets et licences, ou la question des investissements à l’étranger. Les promoteurs du projet veulent créer un précédent qui moulera les futurs traités commerciaux dans un cadre clairement libéral.

Ce n’est pas la première fois qu’est lancée une telle initiative des deux côtés de l’Atlantique. Dès 1990, un an après la chute du mur de Berlin, une résolution est signée par les deux parties, soulignant les communautés de vues et la nécessité de coopérer dans ce monde nouveau.

À ce moment, le commissaire à la Concurrence était le Britannique thatchérien Sir Leon Brittan. Il va tenter de créer avec son homologue américain plusieurs associations réunissant des membres originaires des deux continents. Ce sera le nouveau partenariat transatlantique inauguré officiellement en décembre 1995. La seule organisation qui verra le jour est le TABD, le Trans-Atlantic Business Dialogue[63] (devenu par la suite un programme du TABC, le Trans-Atlantic Business Council[64]). Cet organe, rassemblant quelques dizaines des plus grandes multinationales européennes et américaines[65], va se vanter de voir 60 % de ses propositions reprises par les administrations respectives et transformées sous forme de lois ou de directives.

En 1997, l’OCDE[66] va tenter d’obtenir de ses États membres un accord multilatéral sur l’investissement (AMI), incorporant ce que les firmes désirent dans ce domaine : la protection de la propriété des entreprises, le traitement favorable et non discriminatoire entre national et étranger, un tribunal indépendant où les entreprises peuvent déposer plainte contre les États qui ne respecteraient pas ces règles.

Plus récemment, en 2006, plusieurs États, dont les États-Unis, le Japon et l’Union européenne, vont tenter d’instaurer un pacte dans la lutte contre le piratage des produits brevetés, intitulé accord commercial anti-contrefaçon (ACTA[67] selon le sigle anglais). Il s’agissait d’appliquer des règles très strictes en matière de marques, de labels, de défense d’appellations régionales, impliquant notamment que des médicaments génériques ne pourraient circuler entre les pays de ces trois zones. Face à une opinion publique manifestement hostile, le parlement européen rejettera ce traité. Mais 22 des 27 États membres de l’Union à l’époque le signeront.

Chaque fois, le projet est mené dans la plus grande discrétion, si ce n’est le secret le plus absolu. Il suscite une opposition populaire justifiée, qui émeut l’un ou l’autre organe institutionnel. Les contradictions entre les États parties prenantes provoquent le refus de l’accord négocié.

Mais la Commission est persévérante et a de la suite dans les idées.

L’influence patronale décisive

L’initiative de relancer ce grand marché transatlantique a été prise en novembre 2011 lors d’un de ces sommets quasi annuels regroupant le président américain et les principaux responsables de l’Union européenne.

Le 30 avril 2007, alors qu’Angela Merkel, la chancelière allemande, est à la tête de l’Union[68], la même rencontre des dirigeants des deux côtés de l’Atlantique décide de créer un nouvel organisme, le Trans-Atlantic Economic Council (le conseil économique transatlantique). Celui-ci sera composé de représentants des administrations en charge du commerce et sera mené à la fois par un commissaire européen (d’abord Günther Verheugen, au nom des Entreprises et de l’Industrie, puis Karel De Gucht, pour le Commerce) et par un membre du cabinet personnel du président américain (d’abord Allan Hubbard, ensuite Michael Froman). Sa mission était d’accélérer l’harmonisation transatlantique pour supprimer toutes les règles et tous les règlements inutiles.

Rapidement, de nombreuses voix du côté patronal vont proposer d’aller plus loin et d’imaginer une initiative stratégique d’envergure. Certains imaginent le grand marché transatlantique comme la solution à la récession.

C’est le cas d’un des groupes les plus actifs sur ce sujet, le think tank Transatlantic Policy Network (TPN)[69]. Créé en 1992, il rassemble des hommes d’affaires, des associations patronales, des députés européens et américains. Son but est de promouvoir les relations des deux côtés de l’océan. Ainsi, parmi ses membres, on retrouve Allianz, BASF, Boeing, Caterpillar, Coca-Cola, Daimler, la Deutsche Bank, Facebook, General Electric, IBM, LVMH, Michelin, Microsoft, Nestlé, Pfizer, Siemens et Walt Disney. Parmi les organisations, on a la Chambre de Commerce des États-Unis, la Table ronde des industriels européens (ERT), Business Europe, l’US Council on Competitiveness[70] et les think tanks très influents de Bruegel, European Policy Centre (EPC), le Chatham House britannique et les Américains Council on Foreign Relations, la Brookings Institution, le Carnegie Endowment for International Peace. Et parmi les députés, de nombreux membres de la fraction libérale, du parti populaire et des socialistes, notamment le Belge Saïd El Khadraoui (SP.a). Les deux chefs de groupe des plus grandes formations parlementaires participent également à ce think tank, à savoir le Français Joseph Daul pour le Parti populaire européen (PPE) et l’Autrichien Hannes Swoboda pour les socialistes[71].

Or, depuis 2007, le TPN lance un appel annuel pour entamer directement les négociations en vue de créer un grand marché transatlantique, avec pour échéance 2015. À ce moment, la crise n’est pas encore véritablement perçue. Aussi, l’association utilise d’autres arguments. Elle écrit : « Le marché transatlantique n’est plus la zone économique la plus dynamique du monde ». En cause, la montée de la Chine et des autres pays dits émergents. Face à cette menace, il est nécessaire « d’aiguiser la compétitivité sur le marché transatlantique et de supprimer les barrières sur le commerce et l’investissement et les barrières de réglementation, afin de maximiser la croissance à la fois en Europe et aux États-Unis[72]. »

D’emblée, il note : « L’objectif devrait être d’éliminer les droits de douane et de réduire considérablement les coûts de réglementation et les obstacles non tarifaires au commerce et aux investissements transatlantiques à travers un cadre institutionnel de coopération euro-américaine[73]. » Et les autorités des deux côtés de l’Atlantique mettent sur pied le Transatlantic Economic Council.

Celui-ci va décortiquer les freins réglementaires qui subsistent aux États-Unis et en Europe. Indispensable, mais insuffisant. Aussi le TPN va, dès 2010, avec en toile de fond, cette fois, la crise économique, suggérer d’accélérer les choses et de créer un comité qui sera officiellement chargé de débroussailler le terrain pour commencer des négociations en vue du grand marché.

Un an et demi plus tard, le TPN se fait beaucoup plus pressant : « Il est maintenant temps pour le Transatlantic Economic Council (TEC) d’accélérer les progrès vers un marché transatlantique pour créer des emplois, de stimuler la reprise économique, d’approfondir l’intégration du marché euro-américain et de contribuer ainsi à la croissance mondiale[74]. » Cet organe doit être restructuré pour « devenir le forum dans lequel l’Europe et les États-Unis mettent en œuvre un programme en faveur de l’emploi et de la croissance[75] et coordonnent leur réponse aux conséquences systémiques de la crise de l’euro et aux difficultés économiques en cours en Amérique[76] ».

Message reçu cinq sur cinq, puisqu’au cours du sommet Europe-États-Unis qui suit ce rapport, soit en novembre 2011, les dirigeants européens et américains constituent à partir du TEC un groupe de haut niveau pour l’emploi et la croissance. Il sera dirigé par les mêmes responsables que le TEC et sera composé aussi de fonctionnaires des administrations respectives[77].

Ce comité va abonder dans le sens voulu par le TPN et les autres associations patronales. Il prône un partenariat qui « va bien au-delà de ce que les États-Unis et l’Europe ont obtenu dans les accords commerciaux précédents[78] ». C’est pourquoi il faut aussi y inclure la question des investissements[79] et de la propriété intellectuelle. Le nouveau partenariat ira ainsi plus loin qu’un simple traité bilatéral, mais formera un moule pour les futurs accords multilatéraux.

Les négociations qui doivent commencer le plus vite possible selon le groupe porteront sur trois grands domaines : « a) l’accès au marché ; b) les questions de réglementation et les obstacles non tarifaires ; c) les règles, les principes et les nouveaux modes de coopération[80] ». Il s’agit d’éliminer tout comportement anticoncurrentiel, en particulier ceux qui avantageraient les entreprises publiques ou les demandes de certains pays que les investisseurs étrangers s’approvisionnent prioritairement en composants produits localement.

Le comité a, paraît-il, organisé un vaste débat populaire sur la pertinence de ces propositions. Il a demandé de réagir dans un premier temps à l’idée d’un grand marché transatlantique, ensuite à une première version de son rapport. Il y aurait eu en tout et pour tout 114 réponses. Mais seulement 48 ont été publiées par la Commission européenne[81]. Parmi ces dernières, on note : 34 lobbys industriels et financiers et 5 entreprises privées[82]. Pas besoin d’épiloguer longuement sur la prépondérance éclatante des organismes patronaux, qui vont tous dans une seule et même direction : arracher ce grand marché transatlantique providentiel.

Permis d’exploiter à volonté pour les multinationales

Le mandat donné par les autorités communautaires à Karel De Gucht est très large et permet toutes les inquiétudes. À tel point que la Commission s’est crue obligée d’effectuer plusieurs rectificatifs sur l’enjeu des tractations.

Excepté quelques produits, les principaux changements ne viendront pas de l’élimination des droits douaniers. Ceux-ci sont généralement faibles : 1,7 % en moyenne pour les biens manufacturés et 6,6 % pour les denrées agricoles (essentiellement des produits laitiers) pour les États-Unis ; respectivement 2,3 % et 12,8 % pour l’Union européenne[83]. Le secteur de la viande est celui qui est le plus protégé en Europe. Or, c’est là un des avantages « compétitifs » de la production américaine, mais aussi la crainte des environnementalistes. En effet, actuellement, l’Union européenne interdit les importations américaines de plusieurs produits jugés suspects comme le bœuf aux hormones, le poulet lavé à la chlorine[84] ou les carcasses de viande lavées à l’acide lactique[85], sans compter les organismes génétiquement modifiés (OGM), qui sont beaucoup plus limités sur le vieux continent.

Le Conseil national étasunien des producteurs de porc écrit dans ses recommandations au négociateur américain du partenariat transatlantique : « L’Union européenne est l’un des marchés les plus protégés du monde pour la viande de porc. Elle utilise des quotas tarifaires, avec des droits élevés et prohibitifs, les balançant à petits volumes, en vue de limiter les importations de viande de porc. En outre, l’Union européenne maintient un tableau d’obstacles sanitaires et phytosanitaires non fondés sur la science, qui restreignent les importations. […] Les États-Unis sont les producteurs de porcs ayant les coûts les plus bas au monde et l’Union européenne devrait être un marché énorme pour le porc américain de qualité et concurrentiel au niveau des prix[86]. » Il en conclut : « Les producteurs américains de porc s’opposeront à tout accord qui n’aboutirait pas à l’élimination de tous les tarifs sur le porc et les produits porcins[87]. »

La Commission affirme que « la loi fondamentale de l’UE relative aux OGM n’entre pas dans les négociations et, par conséquent, ne peut être modifiée à leur issue[88] ». Mais, dans les négociations, il y a des concessions. Qu’est-ce que l’Europe acceptera de mettre dans le panier pour obtenir d’autres avantages pour ses entreprises ?

De toute façon, l’agriculture risque de subir une transformation profonde. Ce seront les grandes fermes qui seront privilégiées pour approvisionner l’ensemble d’un marché de 800 millions de consommateurs. Et cela se traduira plus que probablement par une perte nette sur le vieux continent, parce que la grande propriété sera plus compétitive et qu’elle est plus importante aux États-Unis. Le CEPII (Centre d’études prospectives et d’informations internationales[89]) estime qu’en vingt ans, l’Europe perdra 1 % de PIB dans ce secteur[90].

Le second élément négocié concerne l’homologation des produits. Les entreprises aimeraient qu’il n’y ait plus qu’un seul mécanisme valable des deux côtés de l’Atlantique. Une fois que le bien serait considéré comme valable et fiable suivant l’un des deux, il pourrait être distribué aussi bien en Europe qu’aux États-Unis. Outre l’agriculture, ceci pourrait être appliqué notamment aux véhicules, aux médicaments, aux composants chimiques, aux appareils électroniques, etc. Les gains attendus sont importants. Avec l’abaissement des droits douaniers européens de 10 % sur les voitures venant des États-Unis, le secteur automobile pourrait économiser 12 milliards d’euros. Les profits de l’industrie chimique pourraient augmenter de 7,1 milliards et ceux de l’agroalimentaire de 5 milliards[91].

Les menaces les plus folles pèsent sur un certain nombre de réglementations. De nouveau, la Commission se veut rassurante : « Les réglementations sont faites pour rester… La raison première pour laquelle des réglementations ont été mises en place est que les citoyens, par l’intermédiaire de leurs représentants, ont décidé que le coût, quel qu’il soit pour l’économie, en valait la peine. Pour être bien clairs : le TTIP[92] ne modifiera pas nos choix démocratiques. Il ne s’agit pas d’une déréglementation. Les citoyens resteront protégés[93]. »

Mais comment en être sûr à partir du moment où tout est analysé par le biais de la compétitivité ? Comment ne pas craindre que le gaz de schiste, par exemple, n’aille inonder les marchés européens, alors que nombre de pays ne veulent pas en entendre parler chez eux ? Il y a de toute façon un problème majeur dans les tentatives de mise en commun des deux législations : suite aux pressions des associations de consommateurs, souvent soutenues par les syndicats locaux, l’Europe applique généralement un principe de précaution, qui n’est pas accepté de l’autre côté de l’Atlantique.

Le patronat européen aimerait lui aussi se débarrasser de certaines contraintes que lui impose la « société civile ». Il est demandeur d’une harmonisation des régulations financières dans les deux zones. Une manière d’enterrer définitivement la taxation sur les transactions financières, qui, même minime, l’ennuyait quelque peu.

En ce qui concerne la propriété intellectuelle, les deux négociateurs sont partisans d’un droit illimité, le plus favorable aux entreprises. C’est ce qui existe déjà globalement en Europe et aux États-Unis.

En revanche, les deux patronats espèrent que cet accord servira de base à d’autres traités avec d’autres nations, là où la contrefaçon et le piratage industriel sont monnaie courante. L’ACTA[94], sorti démocratiquement par la porte par un vote sans ambiguïté du parlement européen, revient par la fenêtre à travers le TTPI, suivant un processus beaucoup plus opaque.

Enfin, la demande la plus expresse de la bourgeoisie transatlantique est d’obtenir une juridiction indépendante des États, où les multinationales pourraient déposer plainte contre les pays qui ne respecteraient pas les règles mentionnées ci-dessus. C’est un point que la Commission européenne juge sensible. Deux affaires la dérangent. La première concerne le recours aux tribunaux de la part de la société énergétique suédoise Vattenfall contre l’État allemand qui a décidé, suite à l’accident à Fukushima, de renoncer au nucléaire. La seconde est la poursuite en justice par Philip Morris de l’État australien suite à l’interdiction de celui-ci de mettre le nom des marques sur les paquets de cigarettes, afin de réduire la publicité en faveur du tabac. Ces deux cas, reconnaissent les autorités européennes, mettent en cause les capacités des pouvoirs publics de légiférer de façon indépendante pour des raisons d’intérêt général.

Mais la Commission veut arracher ce point. Et pour cause : les firmes européennes sont celles qui utilisent le plus massivement ce recours judiciaire. Entre 2008 et 2012, il y a eu 224 situations reconnues de différends entre une entreprise et un État. Dans 113 d’entre elles, soit 53 % du total, une compagnie européenne était impliquée[95]. Les instances communautaires ont établi quatre principes sur base desquels une plainte pouvait être déposée, quatre garanties clés que les investisseurs étrangers peuvent réclamer :

· « la protection contre la discrimination (“traitement de la nation la plus favorisée” et “traitement national”[96]) ;

· la protection contre l’expropriation à des fins autres que des objectifs de politiques publiques et sans compensation appropriée ;

· la protection contre un traitement injuste et inéquitable — par exemple ne respectant pas les principes fondamentaux d’équité ;

· la protection de la possibilité de transfert de capitaux »[97].

Une firme ne pourra agir que lorsqu’une de ces règles n’a pas été respectée. En second lieu, la totalité des charges du procès sera imputée à la partie perdante (ce qui n’est pas le cas actuellement), pour éviter que des entreprises n’intentent des procès de façon automatique et que, ce faisant, elles puissent influer sur les décisions politiques des États. Enfin, la Commission veut également garantir que les législations nationales ne soient pas continuellement modifiées au nom des affaires : « lorsque l’État vise à protéger l’intérêt public de manière non discriminatoire, le droit de l’État à réglementer devrait prévaloir sur les conséquences économiques de ces mesures pour l’investisseur[98] ».

Avec ces dispositions, les autorités européennes espèrent calmer les opposants à ces règlements des différends, notamment les organisations syndicales. Néanmoins, c’est un droit accordé aux firmes et dont le simple citoyen ne dispose pas. Il permet aux entreprises d’investir et de désinvestir où et quand elles le veulent, sans avoir à se justifier, et il les protège de nationalisations sans indemnisation ainsi que de l’obligation de fournir des garanties, par exemple en matière d’emploi, lors de commandes publiques, arguant que c’est une pratique discriminatoire pour des sociétés non présentes sur le territoire.

Un patron comme Lakshmi Mittal peut continuer d’interdire l’expropriation de « ses » usines de Florange ou de Liège, sauf si celle-ci est justifiée par une politique d’intérêt public et si ces propriétés sont payées à leur valeur.

À qui profite le crime ?

La Commission européenne et la présidence américaine tentent de justifier la création du vaste marché transatlantique par l’apport économique que la suppression des barrières aux importations va entraîner. Ils utilisent différentes études qui montrent toutes une progression des affaires et donc la possibilité de créer des millions d’emplois.

Ainsi, l’évaluation citée fréquemment par les autorités communautaires annonce en vingt ans une progression du PIB de 68 à 119 milliards d’euros en Europe et de 50 à 95 milliards aux États-Unis[99]. L’écart entre les résultats représente des scénarios différents, selon que l’accord sera large ou non. Dans le meilleur des cas, cela signifierait une hausse du PIB de 0,5 % pour l’Union et de 0,4 % pour les États-Unis[100].

Seulement, ces chiffres lancés à la figure de la population n’ont guère de sens. Ils sont fournis par des modèles d’équilibre général, qui ont été constitués de sorte que l’argent supplémentaire accordé aux firmes va se transformer en investissements, eux-mêmes en emplois suscitant une demande accrue et donc l’augmentation du PIB. Par contre, les fonds laissés aux pouvoirs publics auront tendance à se stériliser et ne serviront donc en gros à rien. Ainsi les modèles vont donner les résultats attendus par les autorités. Cela n’a rien de scientifique. Le seul indicateur quelque peu fiable est l’ampleur du phénomène et le moins qu’on puisse dire est que l’effet sera assez limité. Une croissance de 0,5 % du PIB de part et d’autre de l’Atlantique après vingt ans, on a déjà vu mieux comme plan de relance.

En revanche, il est sûr que ce projet de libéralisation et d’ouverture plus grande à la concurrence aura pour effet plus ou moins immédiat la concentration accrue dans la plupart des secteurs. En d’autres termes, ce que l’Europe vit déjà en conséquence du grand marché intérieur sera encore multiplié par l’intégration des États-Unis dans ce processus (et probablement du Canada et du Mexique, liés par le traité de l’ALENA[101]). Les régions qui sont liées à une grande usine qui fait vivre la population locale et qui verront ce siège condamné du fait de la concurrence seront durement touchées, comme le sont actuellement les zones du sud de l’Europe.

Ainsi, le site de Ford d’Almussafes, près de Valence, risque de fêter très brièvement l’obtention du modèle de la Mondeo que Genk assemblait auparavant. Si ce véhicule ne se vend pas, la direction de la multinationale ne va pas hésiter longtemps à exporter de ses usines nord-américaines la voiture semblable, qui n’aura plus à être homologuée sur le continent et qui n’aura plus à subir 10 % de hausse pour les droits de douane. Et qu’en sera-t-il de l’unité de Caterpillar à Gosselies, alors que la firme de Peoria dispose de nombre d’usines aux États-Unis et en Amérique du Nord pour approvisionner le marché européen ?

Cette situation va mettre en rivalité non plus seulement les quelque 194 000 salariés de l’Union européenne entre eux, mais eux-mêmes avec les 138 000 travailleurs américains et sans doute avec les 16 000 employés canadiens et leurs 34 000 homologues mexicains. Au total, plus de 380 000 personnes, qui, dans ce monde capitaliste, devront se battre pour obtenir les maigres emplois laissés par une multinationale. Ou ils devront se contenter des postes de bas de gamme, de sous-traitance, avec une protection sociale minimale et des revenus permettant à peine de survivre, comme c’est déjà le cas aux États-Unis et comme cela se produit déjà au cœur de l’Europe, en Allemagne notamment.

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